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il y a 6 ans
Une vie, ailleurs
Elle s'appelle Julie.
Julie a 42 ans. Deux e n f a n t s, un mari, un travail. Julie a une vie.
Une vie ici. Et une autre depuis un mois.
Elle pose sur le guéridon de l'entrée le bristol préparé, trois mots, une initiale : "Une vie ailleurs. J.", pose en partant son trousseau de clé dans la boîte aux lettres, sur le trottoir tend sa valise au chauffeur de taxi.
— Roissy, terminal E.
Trois mois plus tôt.
Elle travaille pour une grande entreprise de travaux publics. Elle sort rarement de l'agence où elle planifie, organise, travail de bureau.
Une belle femme ? Une femme sur laquelle les hommes se retournent parfois ; les formes pleines et généreuses assumées sans coquetterie et sans efforts pour paraître, une femme discrète et effacée, une femme qui vit son âge sans douleur.
Elle avance d'un pas mécanique, saccadé, de petits pas courts qui font claquer ses talons sur le trottoir, une main aux doigts blanchis de tension sur la poignée d'un attaché-case.
Les yeux fixes, fugitivement froncés quand son pas se suspend une fraction de seconde, elle regarde droit devant elle, ne croise aucun regard.
Ces lèvres pincées marquent ses joues de deux plis d'amertume, lui donne l'air sévère que confirme son tailleur gris à la veste cintrée fermée sur un chemisier blanc boutonné jusqu'au col.
Qui l'aurait observée, aurait été surpris, alors que tout dans son allure montrait sévérité et détermination, de voir le tremblement de sa main avant d'appuyer sur la touche d'appel à la droite de la porte cochère devant laquelle elle s'était arrêtée, son hésitation à la pousser en entendant le penne se débloquer.
La jeune femme à l'accueil a contourné le comptoir sans un mot, l'invitant du regard à la suivre. Elle s'est arrêtée devant la porte pleine tout au bout du couloir sombre et mains jointes dans son giron s'est tournée dos à la porte face à la visiteuse :
— Je dois vérifier.
De longues secondes elles sont restées immobiles, se dévisageant, les traits figés.
De longues secondes.
La première, la femme en tailleur gris a baissé les yeux, avec un relâchement imperceptible des épaules. Elle a posé à ses pieds la mallette, dénouant lentement les doigts de la poignée avant de se redresser.
Quel changement sur ses traits ! Où se lisait froideur et sévérité quelques minutes plus tôt, on ne voit plus qu'incertitude à son front plissé de rides ; ses lèvres entrouvertes tremblent imperceptiblement ; ses yeux trahissent son désarroi, l'incompréhension, presque une supplique.
La jeune femme face à elle reste figée dans une froide attitude d'attente, se borne à répéter d'une voix impersonnelle :
— Je dois vérifier.
Face à elle, le renoncement de la femme est visible, comme si tout en elle s'affaissait après une longue période de tension de tout son corps.
Elle baisse la tête, se refusant à croiser plus longtemps le regard de la jeune-femme.
Elle soulève la jupe de son tailleur, froissant le tissu dans ses mains jusqu'à sa taille, dévoilant à l'inconnue ses cuisses blanches cruellement mordues par la bande plus sombre tout en haut des bas Dim-up couleur chair, son ventre nu et sa toison pubienne brune clairsemée.
Elle tremble en relevant des yeux humides de larmes contenues pour voir la jeune-femme faire un pas vers elle et d'une main sur son bras la faire pivoter, puis la f o r c e r à plier la taille d'une main ferme au creux de son dos.
— Ouvrez-vous.
Entre ses fesses nues qu'elle ouvre de ses deux mains brille la pierre bleue du Rosebud qui tout au long du chemin jusqu'ici lui a donné cette démarche guindée.
Elle se redresse à l'invite de la main de la jeune-femme qui fait un pas en arrière.
— Enlevez-le.
Elle lui tend un second Rosebud qui se termine par une queue des crins noirs.
Les larmes retenues jusque-là marquent ses joues. L'humiliation est totale, rien ne l'a préparée à cette situation.
Légèrement penchée en avant, les genoux fléchis, elle retient d'une main sa jupe soulevée, et de l'autre dans son dos extrait de son anus le Rosebud de ses doigts serrés sur la pierre bleue, se redresse l'objet en main ne sachant quoi en faire, le range à la fin dans son attaché-case en réponse au regard de la jeune-femme.
C'est elle qui fait un pas hésitant pour prendre dans la main tendue le nouvel objet, qu'à travers les larmes qui brouillent sa vue elle devine d'un tout autre diamètre que celui que pourtant elle avait eu bien du mal à insérer entre ses fesses avant de partir dans les toilettes de l'agence, avait dû ressortir de la cabine pour prendre une goutte de savon au distributeur mural.
Cette fois rien ne l'aidera, son désarroi décuplé en voyant l'étincelle glacée dans le regard de la jeune-femme dont elle a croisé le regard.
Elle essaie, en vain, beaucoup trop crispée pour réussir à pousser l'objet au travers de l'anneau serré de son anus.
— Mouillez-le.
La voix est froide, impersonnelle.
Après une hésitation elle s'apprête à porter ses doigts à sa bouche pour en mouiller la boule d'acier, mais la jeune-femme l'interrompt.
— Non, pas comme ça.
La jeune-femme hausse les sourcils, les lèvres pour la première fois étirées d'un sourire à peine esquissé.
Trop perturbée depuis son arrivée, trop bousculée, elle n'a pas conscience de la réaction de son corps et elle est surprise de trouver son sexe si mouillé en y portant la main. Elle enduit le Rosebud de ses sécrétions vaginales et s'ouvrant d'une main tente à nouveau de l'introduire entre ses fesses. Elle le sait cette fois suffisamment glissant tout enduit de la cyprine épaisse prélevée à l'entrée de son vagin pour que ce ne soit pas la raison à la difficulté à le pousser en elle : celui-ci est plus gros que le précédent et elle est trop tendue pour réussir.
La jeune-femme le lui prend des mains et se place derrière elle, un bras entouré autour de sa taille pour la retenir.
— Ouvrez-vous et ne résistez pas.
Sans tenir compte de la plainte de douleur, d'une poussée ferme et continue, elle f o r c e le passage de la boule d'acier entre les fesses de la femme et s'écarte d'elle, l'invitant du regard à remettre sa jupe en place. avant d'ouvrir la porte sur la poignée de laquelle elle a posé la main pendant que la femme lissait sa jupe pour la défroisser et reprenait en main sa mallette.
La démarche raide et hésitante de la gêne occasionnée par l'objet en elle et par le frôlement des brins de la queue de crins terminant l'objet qui balaie ses cuisses sous sa jupe, elle suit la jeune-femme dans le bureau de celui qui lui a donné rendez-vous.
Deux semaines plus tôt.
Le chantier d'un parking en centre ville. Il était tard, elle était seule au bureau et a pris l'appel : un accident. Une infiltration d'eau sur le chantier, un effondrement, un blessé. Il fallait constater, évaluer.
Au premier sous-sol dans un Algeco, le chef de chantier lui a tendu une combinaison et des bottes. Il l'attendrait au niveau 3 où les secours s'organisaient.
Elle se changeait quand deux ouvriers sont entrés sans frapper.
Ils remontaient du niveau 3, fatigués, venaient prendre une pause.
Des hommes fatigués, des hommes frustres et en colère, une femme en petite culotte et soutien-gorge, trop éberluée de leur arrivée pour une quelconque réaction, incapable de prononcer le moindre mot tant cette irruption la surprenait.
Elle a fait un pas en arrière, a butté contre un bureau où elle s'est appuyée des deux mains dans son dos, dévisageant les deux intrus sans faire le moindre effort pour masquer sa presque nudité.
Ce qui leur est passé par la tête ? A elle ? A eux ?
Expliquer ? Justifier ? Rien n'explique ni ne peut justifier. Rien.
Seulement dire.
Dire que Julie n'a rein dit quand les deux hommes se sont approchés d'elle.
Dire la chaleur étouffante du caisson encombré, l'odeur forte de transpiration, sa quasi nudité.
Aucune b r u t a l i t é .
Le frisson à la main sur son bras, ses yeux fixés sur celui qui baissait la fermeture éclair de sa combinaison maculée de boue, le torse nu couvert d'une épaisse toison brune. Elle a fermé les yeux, comme pour effacer les images, cauchemar, rêve, situation impossible, inconcevable, le poids de la main sur son épaule, ses jambes flageolantes.
Elle n'a pas cédé ou accepté. Elle s'est simplement affaissée, à genoux sur le sol boueux, les doigts serrés sur la combinaison qui glissait sur les cuisses de l'homme, noyée de l'odeur forte du sexe libéré qui se frottait sur sa joue, sur sa bouche.
L'autre dans son dos a soulevé son soutien-gorge au-dessus de ses seins.
Les deux.
L'un, puis l'autre, agenouillés derrière elle, accrochés à ses hanches, pétrissant ses seins.
Inconcevable, deux fois elle a joui. Deux fois elle a gémi de plaisir.
Quand le directeur de l'entreprise de gros-œuvre alerté lui aussi des problèmes est arrivé dans l'Algéco, les cris de la femme ne faisaient aucun doute quant au plaisir qu'elle prenait. Elle n'a pas compris pourquoi ils l'abandonnaient, elle s'est retournée en entendant la porte claquer, frustrée de l'abandon brusque, le regard voilé levé sur des chaussures marron, brillantes, le pli impeccable d'un pantalon gris, la cravate bordeaux entre les pas de la veste, le regard glacial. Figée.
Elle n'a pas eu un geste pour protéger sa nudité, pas un geste quand il a sorti son téléphone portable pour prendre une, deux, trois photos avant de quitter l'Algéco.
Combien de temps elle est restée là, immobile ? Elle n'en a aucun souvenir. Les larmes sont venues. Elle a remis sa culotte enroulée sur une de ses chevilles, a rabaissé le soutien-gorge sur ses seins. Elle s'est rhabillée. Elle s'est enfuie.
Elle est entrée dans un bar sur le chemin du retour, a bu deux cognacs avant de se décider à rentrer chez elle.
Pendant une semaine elle ne pensait qu'à cette impensable soirée. Sans comprendre ce qui lui était arrivé. Tout simplement parce que c'était impensable, irréel, tellement étranger à ce qu'elle était. Le v i o l , son absence de réaction, plus que tout le plaisir, incroyable, elle se souvenait avec de longs frissons du plaisir physique, v i o l ent, qu'elle avait éprouvé.
Elle a reçu les photos par le courrier interne, une enveloppe anonyme, son nom, la mention "Personnel". Un bristol, indiquant une heure, une adresse.
L'homme au costume. L'homme aux photos. Les photos étalées sur la table de réunion à son entrée.
Il ne souriait pas, parlait peu. Il a déboutonné son chemisier. Il a soulevé sa jupe et l'a poussée vers la table, sa joue sur les photos, lui a enlevé sa culotte et lui a fait l'amour, l'a baisée, plutôt. Il prenait son temps, et comme dans la cabane Algéco elle a joui comme elle ne jouissait que rarement depuis quelques années.
Il lui montrait un objet quand elle s'est redressée, une boule d'acier brillant, oblongue, une tige fine et à son extrémité une pierre brillante de verroterie bleue azur.
— Tournez-vous.
Le contact froid entre ses fesses, l'étirement, la douleur et la délivrance, le froid en elle et le poids, la gêne quand elle s'est redressée.
Il lui a donné des instructions, d'une voix terne, sans timbre, ce qu'elle devait porter et ne pas porter, une heure, une adresse.
Des bouffées de honte, des bouffées de chaleur, des larmes et brusquement en pleine journée, au travail, dans la rue, chez elle le soir devant la télé ou pendant un repas avec son mari et ses e n f a n t s attablés son ventre dur et l'humidité chaude, brusquement, sans raison.
Elle ne comprenait pas, n'essayait pas. Chaque fois qu'elle y pensait, elle était oppressée de sensations, les seins durs et tendus et une irrépressible envie de sexe, de sexe brut, de sexe brutal qui lui nouait le ventre.
Plusieurs fois, dans la journée, elle portait en elle le bijou que l'homme lui avait donné et qui ne quittait pas son sac à main, le gardait en elle jusqu'à la gêne trop grande.
Elle le portait pour le plaisir trouble qu'il lui procurait, le portait comme symbole, comme la marque infamante de l'abandon de son corps, l'abandon de toute idée de rébellion.
En deux semaines, tant de décisions qu'elle aurait pu prendre, elle-même à de rares moments de lucidité effarée de son comportement ne se reconnaissait plus.
Beaucoup autour d'elle ont remarqué un changement qu'ils ne s'expliquaient pas, la voyant brusquement se perdre dans ses pensées, absente à son entourage.
Elle ne comprenait pas, n'expliquait pas, n'essayait pas. Elle acceptait.
La jeune femme referme la porte dans son dos, la pousse devant elle d'une pression de sa main sur sa taille.
C'est un grand bureau, sombre, tout au fond une table de travail, quelques dossiers soigneusement empilés, un ordinateur portable ouvert, et devant une table ronde où sont assis trois hommes, tous trois en costumes et cravates, qui ne lèvent pas les yeux à son entrée, continuent leur discussion à voix feutrée. Une réunion de travail. Une réunion comme les nombreuses réunions auxquelles elle assiste chaque semaine.
La jeune-femme la conduit vers la droite où deux fauteuils de cuir entourent une table basse chargée d'un plateau, quatre verres, une bouteille de whisky, une cravache, des lanières de cuir, un gode noir veiné.
Julie voit, regarde, avance sous la pression de la main dans son dos vers les fauteuils et la table basse.
— Déshabillez-moi.
Julie ne réagit pas immédiatement, interroge d'un regard surpris, incertaine à avoir compris. Ce n'est à l'évidence pas ce qu'elle attendait. "Pardon?", le premier mot qu'elle prononce depuis son arrivée, à peine murmuré.
La jeune-femme ne répète pas, attend, ne confirme son ordre qu'en écartant légèrement les bras.
Julie très vite détourne les yeux vers la table de réunion où maintenant les trois hommes se taisent, tous les trois les regardent, attentifs.
Julie pourrait trouver là réparation à l'humiliation que lui a fait subir cette inconnue juste avant de pénétrer dans le bureau, elle n'est que maladroite et empruntée, curieusement gênée.
A peine a-t-elle vraiment regardée cette jeune-femme, vraiment regardée, depuis son arrivée, tant elle était centrée sur elle-même.
Des cheveux blonds très courts, des yeux sombres et des lèvres charnues brillantes de gloss, une veste à col mao assez ample pour masquer les formes, boutonnée jusqu'au cou, une jupe plissée qui couvre les genoux, un ensemble noir élégant . Sans doute la trentaine.
Julie est déstabilisée. Déshabiller une femme ? Avant, puisqu'il y a un avant et qu'il y a maintenant, Julie a toujours eu un problème avec la nudité. La sienne. Même avec son mari. La nudité des autres, son mari, ses e n f a n t s, son fils bien sûr, sa fille aussi. Est-ce vraiment le moment de penser à sa fille ? une pensée qui colore ses joues de honte, que très vite elle efface de son esprit, pensée indécente.
Ses mains tremblent en déboutonnant la veste, attentive à ne pas effleurer la peau en la faisant glisser sur les épaules, Ses lèvres mordues et les yeux qu'elle ne peut détourner en découvrant les seins nus, les larges aréoles sombres et les tétons longs, des seins écartés et lourds, dessous un corset qui étrangle la taille, lacé devant, en partie caché sous le poids des seins et qui masque le nombril, disparaît sous la taille de la jupe.
Elle touche un lacet entre les seins, s'arrête au signe de tête de la jeune-femme, passe dans son dos pour défaire la jupe, qu'elle accompagne jusqu'au sol pour la passer sous les escarpins noirs à hauts talons quand la jeune-femme soulève ses pieds.
Sous ses yeux des hanches larges sous la taille étranglée par le corset, des fesses fermes au pli marqué dessous à la jointure des cuisses, la raie des fesses déformée d'une pastille noire qui repousse les chairs, qu'elle devine l'extrémité d'un objet semblable à celui qui pèse en elle, provoque de fréquentes contractions de l'anneau des sphincters comme pour le retenir quand elle sent que son corps voudrait le rejeter.
La nudité de cette jeune-femme la perturbe plus que ne la dérangeait la sienne qu'elle imaginait devoir exposer, la perturbe par la curiosité qu'elle fait naître en elle, les joues cramoisies à détailler ces formes de femme.
La jeune-femme la dénude à son tour, n'hésitant pas elle à toucher sa peau qui frissonne au moindre contact. Elle enlève sa veste et son chemisier, son soutien-gorge ensuite en passant ses bras sous ceux de Julie pour le dégrafer, plaque sa poitrine à la sienne pour abaisser la fermeture éclair de sa jupe qui tombe à ses pieds, qu'elle ramasse en s'agenouillant devant Julie, sa joue collée à son ventre, balayant sa toison des lèvres avant de se redresser, un sourire ébauché en voyant le frisson et la peau piquée de tension, les yeux noyés.
Sur la table basse elle prend la cravache dont elle lui montre les verres et la bouteille :
— Servez donc ces messieurs.
Julie a une conscience aigue du ridicule de cette queue de crin qui pend dans son dos et bat ses cuisses. Elle ne regarde pas les hommes, baisse les yeux en posant le plateau sur la table et en les servant d'une main peu sûre, le goulot de la bouteille choquant le bord des verres.
Cette queue bien sûr, mais pas seulement. Elle ne peut s'empêcher puisqu'elles sont nues toutes les deux de se comparer à cette femme.
Elle éprouve un curieux sentiment de honte et de colère à la comparaison que ces hommes peuvent faire entre son corps vieillissant et celui de la jeune-femme.
La semaine précédente, chose qui jamais auparavant ne lui arrivait, elle est restée longtemps à observer son corps devant les portes-miroir de l'armoire de sa chambre, pour se voir comme ces hommes la voyaient. Ce qu'elle a vu ne l'a pas rassurée : ce pli de grossesse sur son ventre qui n'a jamais vraiment disparu, quelques vergetures sur ses seins et ses cuisses trop lourdes.
Le premier jour dans la cabane de chantier, c'était son corps offert que ces deux hommes voulaient. Celui qui avait pris des photos ? Il était jeune. Ce ne pouvait pas être son corps. Elle en a pris conscience devant les miroirs. Lui voulait posséder, avilir.
Et elle a admis que c'était cette soumission et cet avilissement qui était la raison à son plaisir.
Des larmes plein les yeux, elle riait en s'asseyant au bord du lit, trouvant à son sexe cette humidité si rare qu'un tube de lubrifiant ne quittait pas le tiroir de sa table de chevet, le lubrifiant qu'elle posait discrètement entre ses lèvres quand son mari voulait faire l'amour.
Allongée les jambes dans le vide, pour la première fois depuis longtemps, depuis très longtemps, elle s'est caressée, s'est arrêtée quand elle a su qu'elle n'y arriverait pas, que le plaisir ne viendrait pas, comme elle n'avait rien ressenti deux jours plus tôt avec son mari.
C'est à ce moment-là qu'elle a décidé de se rendre au rendez-vous que l'homme lui avait fixé. Non pas qu'elle ait eu la moindre idée de la manière de s'y soustraire, mais ce jour-là, allongée sur son lit, ni par obligation sous la pression des photos prises et de l'emploi qui pourrait en être fait, ni en cédant à un possible chantage, mais par envie, par abandon et désir, pour que son corps soit vivant, elle s'est soumise.
Avant de se rhabiller elle a pris dans son sac à main le Rosebud que l'homme lui avait donné, et c'est avec lui planté entre ses fesses qu'elle a pris le chemin du bureau.
L'un des hommes sert lui-même le quatrième verre et le pousse vers elle sans un mot.
Elle y trempe les lèvres, et les yeux brillants de la brûlure dans sa gorge le boit en entier quand la jeune-femme lui soulève le bras de la cravache.
Ils la font s'allonger sur la table et la cravache lui ouvre les cuisses, cingle la chair tendre de l'aine et le ventre.
— Caresse-toi.
Des mains sur ses seins, de la traction sur les crins qui jaillissent de ses reins, de la morsure de la cravache, autant que de ses mains hésitantes et maladroites à la caresse, elle jouit dans serrées pour étouffer sa plainte.
La jeune-femme la redresse et prend sa place les fesses au bord de la table en appui sur la pointe de ses escarpins jambes largement ouvertes.
— Approchez. A genoux.
Elle sait. Elle sait avant même que la jeune-femme ne prenne ses cheveux dans sa main pour plaquer sa bouche contre son sexe.
Une fois, une seule fois son mari lui a offert cette caresse. Elle sait ce qu'on attend d'elle et pourtant se rebelle, garde bouche close et résiste à la main dans ses cheveux qui noie son nez dans la toison blonde et fournie, la noie d'un parfum musqué de femme, et barbouille ses lèvres de la cyprine qui tapisse le sexe dont la jeune-femme écarte les lèvres à deux doigts.
Elle cède aux coups de cravache dont la femme cingle ses fesses. Elle cède et s'active, elle veut la jouissance de la femme comme une victoire sur elle, et l'obtient enfin quand elle allait renoncer, les mâchoires douloureuses et la langue fatiguée.
Elle prend ensuite dans sa main le gode qu'on lui tend, le pousse dans le vagin de la jeune-femme qui ouvre son sexe des deux mains.
D'elle-même elle repousse du doigt le plug qui lentement ressort en étirant l'anneau brun entre les fesses, puis au contraire le tire pour l'extraire en partie et le repousse à nouveau, pleinement consciente et satisfaite de la douleur qu'elle impose, qu'elle constate au pli profond sur le front de la jeune-femme et à ses plaintes quand elle est de plus en plus brusque.
Un, les trois hommes sans doute, se sont succédés derrière elle pendant qu'elle faisait crier la jeune-femme, parfois de douleur, peut-être de plaisir.
L'un d'eux a arraché de ses fesses le Rosebud que la femme lui avait mis avant d'entrer et pour la première fois de sa vie un homme la sodomise. Il est brutal.
Ses plaintes font écho aux plaintes de celle à qui elle impose le même traitement, avec la même b r u t a l i t é .
Un mois. Un mois depuis le début de sa seconde vie.
Deux autres rendez-vous. Des inconnus. Son corps offert.
Julie vit deux vies.
Une vie où son mari, ses e n f a n t s se sont habitués à cet air égaré, absent, qu'elle a si souvent. Leurs questions n'ont eu pour réponse que silence et visage fermé.
Une vie hors d'elle, une vie où personne ne pose de questions ni n'attend de réponse.
Un autre rendez-vous aujourd'hui.
Un temps de mai.
Des regards croisés dans le métro, dans la rue.
Son pas est suspendu un instant sur le trottoir par la gène ressentie au creux de ses reins provoquée par ce bijou qu'elle porte maintenant sans y être invitée, qu'elle sent presque lui échapper entre deux contractions volontaires dont elle a appris à le retenir en elle, ces contractions régulières qui tout le temps qu'elle le porte maintiennent son corps en éveil, en tension sexuelle permanente.
Autour d'elle, les passants l'évitent, la contournent en jetant un regard vers elle qui s'est arrêtée un instant, les regards étonnés d'indulgence inquiète en voyant ses yeux fixes et ses sourcils levés, sa bouche ouverte et le poing fermé au creux de son ventre, comme elle soulagerait une v i o l ente douleur subite.
Un étudiant, une dame, chacun d'un côté la soutiennent d'un bras, s'inquiètent en l'entraînant hors du passage.
Les spasmes de l'orgasme s'apaisent à peine quand ils l'accompagnent vers un fauteuil en terrasse d'un café.
Elle rit. Elle rit comme depuis bien longtemps elle n'a plus ri en remerciant la dame et le jeune-homme de leur sollicitude, s'imaginant leur expliquer ce qui vient de lui arriver, ici, en pleine rue.
La dame s'éloigne rassurée de ce rire et de ses remerciements, elle retient le jeune-homme d'une main et l'invite à rester, lui offre une consommation quand un serveur s'approche.
Parce qu'il s'inquiète de sa santé, parce que mai est joli aujourd'hui, parce que pour la seconde fois en un mois lui arrive une chose impensable, improbable, parce qu'elle n'est plus ce qu'elle croyait être et ne sait plus qui elle est, elle parle.
Elle dit à un inconnu en mots crus ce qui lui est arrivée et pourquoi, rit de la mine ébahie et de la rougeur qui marque les joues du jeune-homme.
A cet inconnu qui s'agite sur sa chaise et détourne les yeux, elle dit tout.
Elle dit la cabane de chantier le jour de l'accident, les rendez-vous et le chantage supposé, elle dit sa nudité sous sa jupe légère de ce joli mai et l'objet entre ses fesses qui a provoqué son brusque orgasme en pleine rue.
Elle dit son mari, ses e n f a n t s, elle dit sa vie qui a perdu tout sens.
Elle dit "C'est fini".
Elle se voit belle dans les yeux du jeune, un peu folle aussi.
Dans la chambre aux murs tapissés de fleurs vertes de l'hôtel où il l'a suivie, elle l' a déshabillé, lui a demandé de la mettre nue à son tour et a enlevé le Rosebud d'entre ses fesses, voyant dans les yeux du garçon que ce geste donnait réalité à tout ce qu'elle avait raconté, qu'il hésitait à croire jusque là.
Un premier pas. Et d'autres. Plus de rendez-vous. Un regard froid sur sa vie.
Elle n'explique pas, ne justifie pas. Elle sait seulement ce qu'elle ne veut pas, veut seulement savoir qui elle est. Une autre, ailleurs.
Julie a choisi. "Une vie ailleurs. J."
— Roissy. Terminal E.
— Bien madame, c'est parti ! Belle journée, n'est-ce pas ?
Julie sourit au chauffeur de taxi :
— Très belle, en effet !
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